
Le Capital au XXième siècle de Thomas Piketty est un ouvrage important et attachant.
Important, en ce qu’il contribue à une meilleure connaissance de la dynamique contemporaine du capital et des inégalités. Attachant, en raison de la pédagogie qui s’y deploie et des nombreux exemples tirés des classiques de la littérature et du cinéma qui permettent à l’auteur d’illustrer son propos.
Cependant, l’appareillage théorique est un peu en retrait par rapport au reste de l’ouvrage, de sorte que l’absence d’une vision claire des « lois fondamentales » du capitalisme retire un peu de sa cohérence à la masse impressionnante de graphiques, de tableaux et de réflexions qui impresssionne le lecteur.
Où va le capitalisme?
L’auteur formule deux propositions :
1. Il existe une « force de divergence fondamentale », une contradiction entre le rendement du capital et le taux de croissance économique qui pousse à l’explosion du capital et des revenus patrimoniaux. A terme, Piketty prédit que la part des revenus du capital dans le revenu avoisinera les 40%, contre 25% aujourd’hui, du fait de l’essoufflement de la croissance, alors que le rendement du capital se maintient à son niveau normal, de l’ordre de 3 à 4 % l’an.
2. L’expansion du capital, sous toutes ces formes, provoque l’émergence d’une nouvelle classe de rentiers qui se distinguent du menu peuple par leur consommation ostentatoire, et des rentiers du XIX ième siècle par le fait qu’ils travaillent et possèdent de hautes qualifications.
Dans ce premier billet consacré au livre de Piketty on souhaiterait synthétiser et, si possible, compléter la démonstration théorique de l’auteur.
Les quatre équations de Piketty
(1) Capital/RNB=part des revenus du capital dans le RNB/ rendement du capital
(2) Capital/RNB = taux d’épargne nette/taux de croissance du RNB
(3) Part des revenus du capital dans le RNB=[rendement du capital/taux de croissance du RNB].taux d’épargne nette
(4) La « divergence fondamentale »:
Rendement du capital/taux de croissance=part des revenus du capital dans le RNB/taux d’épargne nette
L’équation (1) découle d’un vérité mathématique: multipliez le capital par son rendement et vous obtiendrez les revenus tirés du capital.
L’équation (2) est dérivée de la formule du taux de croissance effectif selon Harrod. Elle indique vers quel niveau devrait le rapport capital sur revenu devrait tendre compte tenu du taux d’épargne et du taux de croissance. L’équation prédit que l’économie française, avec un taux de croissance de 1,5% et un taux d’épargne nette de l’ordre de 10% devrait posséder en capital l’équivalent de 6,6 fois son revenu national, ce que confirment les estimations de Piketty.
L’équation (3) est dérivée du rapprochement de (1) et de (2).
L’équation (4), qui exprime le degré de divergence entre le rendement du capital et le taux de croissance économique résulte de l’équation (3). Piketty interprète la divergence entre rendement du capital et croissance comme un « fait historique » qui commande la répartition du revenu entre le travail et le capital. Sans contre-poids fiscal, la masse des capitaux augmentera plus vite que les revenus, accentuant la concentration des richesses et encourageant chez les possesseurs de capitaux des comportements « aristocratiques », avec consommation ostentatoire de leurs revenus patrimoniaux: dans l’équation (4), si le taux de croissance est plus faible que le rendement du capital alors le taux d’épargne est inférieur à la part des revenus du capital dans le revenu.
Où est l’équation du rendement du capital?
Piketty n’explique pas comment se forme le rendement du capital.
Selon lui, il s’agit d’une donnée qui s’explique par la nécessité de rémunérer les capitalistes.
Il est pourtant facile de déduire des équations (1) et (3), deux expressions complémentaires du rendement du capital (r):
(5) r=[RNB/capital]. part des revenus du capital dans le RNB
(6) r=[part des revenus du capital dans le RNB/taux d’épargne]. taux de croissance du RNB
Ces équations nous disent que les capitalistes ont deux moyens pour améliorer le rendement du capital: soit ils jouent leur rôle en investissant, pour accroître la productivité du capital et la croissance, soit ils se transforment en consommateurs de leurs rentes qui s’emploient à mener grand train sans épargner plus. Dans les deux cas, le rendement du capital augmente, mais ces deux modalités correspondent à deux capitalismes différents et il n’est pas certain que dans la seconde option, qui correspond peut-être à notre époque, l’intérêt des capitalistes coïncide avec l’intérêt général…
Pourquoi le capital augmente-t-il plus fortement que la croissance?
Piketty n’explique pas véritablement pourquoi le capital a tendance à progresser plus vite que le revenu. Or, sur la bases des équations précédentes, on observe que cette tendance provient tout simplement de la propension des possesseurs de capitaux à consommer une part de leurs revenus (plutôt que de tout épargner), ainsi que de l’existence d’un taux de dépréciation du capital non nul.
Il est difficile de voir dans ces deux faits une contradiction fondamentale du capitalisme!
En posant comme un axiome que le rendement du capital est une donnée Piketty veut démontrer que l’augmentation du ratio capital/ revenu se traduira inexorablement par une hausse de la part des revenus du capital dans le revenu ( cf (1)). Il souhaite également s’opposer à Marx, dont on sait qu’il prophétisait la diminution progressive du rendement du capital du fait de l’extrême concurrence que se livrent entre eux les capitalistes et de l’opposition entre le travail et le capital.
A l’inverse de Marx, d’après lequel ce sont des contradictions sociales et économiques qui bornent l’augmentation du capital et annoncent des perspectives révolutionnaires, Piketty décrit une contradiction structurelle-la supériorité du rendement du capital sur le taux de croissance- qui ouvrirait la perspective d’une société de plus en plus capitalistique et figée socialement.
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