Poursuivons notre exploration du livre de chevet des souverainistes français, « La Démondialisation », rédigé par l’ économiste Jacques Sapir.
Aujourd’hui, attardons nous sur un important graphique, qui se trouve à la page 43 du dit ouvrage, très révélateur de la méthode Sapir . Ce graphique est supposé démontrer l’existence d’un « puissant mouvement de déflation importée » qui expliquerait le découplage du salaire moyen par rapport aux gains de productivité du travail.
Comme nous l’allons montrer, il s’agit d’une approximation assez étonnante.
Le graphique rapproche malicieusement l’évolution de la productivité du travail et des salaires (nets), pour en tirer les conclusions suivantes:
-Jusqu’en 1981, dans le cadre d’une économie relativement fermée aux échanges extérieurs, il existait une corrélation étroite entre salaires nets et productivité par travailleur.
-Depuis le début des années quatre-vingts, avec les progrès de l’intégration commerciale au sein de l’Europe et du monde (le taux d’ouverture de la France a doublé), les salaires augmentent au ralenti, en tout cas significativement moins vite que les gains de productivité.
-Depuis 1997, on constate une augmentation sensible des salaires, que l’auteur met sur le compte des 35 heures et de la montée des « super salaires », en particulier ceux des cadres du secteur bancaire et financier.
Comprenons bien en quoi notre économiste nous induit en erreur. Dans notre pays, le capital ne rémunère pas seulement le travail sous la forme de salaires nets. Les entreprises prennent également en charge le temps passé en dehors du travail (retraite, maladie, chômage etc…), de sorte que la masse salariale comprend les salaires, les cotisations sociales, la CSG et la CRDS.
Ceci étant posé, observons le graphique complet de l’Insee, que Mr Sapir s’est bien gardé d’insérer dans son livre.
Par rapport au graphique précédent, nous observons deux courbes supplémentaires: d’une part, celle qui représente l’évolution du « gâteau à partager » (la valeur ajoutée), d’autre part, la courbe du salaire « superbrut » moyen, qui incorpore l’ensemble des cotisations sociales et patronales, ainsi que de la CSG et de la CRDS.
Demandons nous maintenant pourquoi, depuis 30 ans, le pouvoir d’achat du salaire net n’a pas continué à progresser au rythme des trente glorieuses, ce qui, grosso modo, aurait permis au salarié moyen d’être deux fois plus riche qu’à l’heure actuelle.
Trois raisons entrent en ligne de compte:
1) La productivité moyenne du travail n’a pas continué à progresser à la vitesse de croisière des années cinquante et soixante. On peut constater qu’elle décroche nettement à partir de 1974.
2) Le rapport de force social, de plus en plus défavorable au travail à partir de la fin des années soixante-dix, n’a pas permis aux salariés de préserver l’indexation de leurs salaires sur le rythme de productivité.
3) Les Français ont opté pour une protection sociale, dont la montée en puissance, en réponse au progrès social, au vieillissement démographique, mais aussi au chômage, explique pourquoi les courbes du salaire « superbrut » et net s’écartent de plus en plus l’une de l’autre.
A partir de là, les lacunes du raisonnemen apparaissent au grand jour.
Contrairement à ce qui est dit, le tassement des gains de productivité et la montée de la protection sociale expliquent l’essentiel du marasme du salaire net. Qui plus est, Sapir n’interprète pas correctement la variable qu’il a choisi de mettre en avant pour incriminer la mondialisation. En effet, en retenant le taux d’ouverture au sens large (exportations+importations/PIB), il inclut les ventes françaises à l’étranger, dont il est permis de penser qu’elles exercent un effet positif sur le niveau du salaire moyen français.