Exporter, c’est presque un privilège. En France, 1% des firmes réalisent 40% du total des exportations(voir ici le post de Fabien Candau).
Comme les « happy few » sont, de manière générale, les entreprises les plus grandes et les plus productives, on devine que la présence sur les marchés mondiaux implique des coûts auxquelles toutes les entreprises ne sont pas préparées. Mais pour quelles raison la France se singularise-t-elle par une concentration relativement marquée de ses firmes exportatrices?
Afin d’explorer ce point, j’ai choisi quelques articles dans une littérature qui s’intéresse depuis peu à l’hypothèse d’hétérogénéité des firmes.
En France, le club des firmes exportatrices reste sélect

Mon étonnement est parti de ces deux graphiques tirés de l’étude de T. Mayer et G . Ottaviano (2007).
La forte concentration des entreprises qui exportent saute aux yeux: en 1998, moins de 10% d’entre elles exportent plus de 50% de leur chiffre d’affaires.
Mieux encore: entre 1998 et 2003, cette tendance s’accentue en France relativement à l’Allemagne ( la « classe moyenne » des entreprises exportatrices s’étoffe plus en Allemagne qu’en France). Or, simultanément, la part de marché internationale des firmes françaises diminue, de sorte que l’ on peut s’interroger sur l’existence d’un lien entre les deux phénomènes.

Dans le secret des marges
Et maintenant, pour tenter de voir un peu mieux la réalité, jetons un oeil par dessus l’épaule des chercheurs.
Lorsque l’on découvre (comme moi) la littérature consacrée à ce domaine, on tombe sur quelques articles incontournables, dont celui de Thomas Chaney (au passage, allez sur son site pour les photos de montagne).
Mais revenons à nos moutons.
Dans le modèle de T. Chaney, il existe des entreprises en concurrence monopolistique qui se différencient tout d’abord par leur productivité (le degré de diversité des firmes est considéré comme donné).
Exporter implique des coûts fixes et variables. Au terme d’un tri, certaines firmes, les moins productives, sont écartées de la compétition internationale.
Maintenant une question de vocabulaire: lorsque les exportations augmentent parce que les firmes, à nombre constant, exportent chacune davantage, on parle de marge intensive.
Lorsque le club des exportateurs s’ouvre à d’autres firmes, on parle de marge extensive*.
L’apport du modèle de Chaney consiste à prendre en compte et à expliquer ce qui fait bouger cette seconde marge.
Deux facteurs d’offre contribuent à magnifier les marges extensives, donc à démocratiser l’export:
-
L’accessibilité croissante au marché: elle permet à des firmes relativement peu productives de devenir rentables et d’ exporter à leur tour. Or ceci bénéficie aussi aux firmes déja présentes. Quel va être l’effet net? Chaney montre que si dès le départ l’offre est très concentrée (peu de firmes de grandes tailles exportent), alors les marges extensives doivent l’emporter sur les marges intensives (on gardera cela à l’esprit pour commenter le cas français).
Le cas français étonne. En effet, si le marché est réservé au départ à quelques firmes, une meilleure accessibilité aux marchés mondiaux devrait surtout bénéficier à de nouvelles firmes (les marges extensives l’emportent toujours sur les marges intensives, nous dit Chaney).
Un mystère français?
Deux explications me paraissent possibles:
-
En France, les marges extensives (donc l’arrivée de firmes « outsiders ») pourraient être freinées par un moindre degré de différenciation de la production, qui peut être général ou bien spécifique aux secteurs dans lesquels l’offre est très concentrée, donc plus sensible aux marges extensives**. Bien sur, il doit exister d’autres causes (accès plus limité aux marchés financiers, lobbying des « insiders » auprès des pouvoirs publics qui ne manquent jamais de convier les représentants des grandes firmes lors de voyages officiels à l’étranger).
C’est tout pour aujourd’hui. Mais attention, je n’accepterai pas les commentaires qui incriminent les 35 heures (bon, vous pouvez y aller, mais ce n’est pas très original).
DG
*Une illustration politique: ces temps-ci, les sarkozystes sont moins nombreux mais plus virulents (marge intensive).
**Je suis allé voir dans l’étude de M. Crozet et P. Koenig (2007) les estimations qui ont été faîtes pour paramétrer quelques unes de ces variables. On y découvre que les secteurs exportateurs qui sont dominés par un petit nombre de firmes (acier, navigation, chaussures…) sont également ceux dans lesquels le degré de différenciation du produit est justement le plus bas.
Thomas Chaney, Distorted gravity: the intensive and extensive margins of international trade, American Economic Review, 2008.
Matthieu Crozet, Pamina Koenig, Structural gravity equations with intensive and extensive margins, Economix, Document de travail, 2007.
Thierry Mayer, G. Ottaviano, The happy few: new facts of the internationalisation of european firms, CEPR, Bruegel Blueprint séries, 2007.
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