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En Allemagne, la courbe de Phillips trace sa route

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Un intéressant papier de Daniel Gros permet de comprendre le rôle du contexte macroéconomique dans la formation des salaires allemands au début des années 2000.

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La stabilité de la relation taux de chômage-croissance des salaires nominaux (dite « courbe de Phillips ») tend à démontrer que le net ralentissement salarial de la période 2001-2006 est le résultat de la forte hausse du chômage plutôt que la manifestation d’une  volonté politique.

L’auteur semble faire un peu trop confiance à l’autonomie des « forces de marché » (en l’occurrence, excès d’offre de travail=ralentissement des salaires) par rapport aux rapports de force sociaux, mais son élégant graphique est utile pour relativiser l’idée que le modèle allemand a connu une rupture historique  après l’introduction de l’Euro.

 

Allemagne, qu’as tu fait de ton investissement?

Pour quelles raisons le commerce extérieur allemand a-t-il retrouvé des couleurs si éclatantes  entre 2000 et 2007?

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On a tendance à rechercher les causes de ce phénomène dans la qualité des produits et la dégradation du droit social.

Il existe une manière différente d’envisager la question.

Quel que soit le rapport qualité prix des biens exportables,  un pays qui investit moins (à épargne donnée) devient forcément le créancier du reste du monde.

C’est exactement ce que l’on observe en Allemagne.

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 Le taux d’investissement allemand est devenu inférieur au taux de la zone Euro à partir de 2002, suite au recul des investissement en logements résidentiels (depuis 2000) et non résidentiels (à partir de 1995).

Pourquoi ce déclin?

Un papier de Fabian Lindner propose de voir le marasme immobilier comme le contre-coup du boom consécutif à la réunification, qui avait reposé sur l’accroissement de la population (+4 millions d’habitants en Allemagne de l’Ouest, dont 1, 5 millions de demandeurs d’asile) et des politiques fiscales et de crédit très accommodantes.

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Dans les années 2000, la surproduction de logements, l’arrêt des politiques de soutien à la demande, le déclin démographique (et peut-être aussi la forte hausse du chômage entre  2000 et 2005 ) ont eu raison de l’embellie immobilière et fait basculer l’Allemagne dans l’ère de l’épargne abondante puisque sans débouchés intérieurs suffisants.

Dans le même temps, beaucoup de pays de la zone Euro qui allaient devenir les débiteurs de l’Allemagne, connaissaient un regain immobilier spectaculaire.

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Cette discordance temporelle des cycles immobiliers est sans doute la cause essentielle des déséquilibres commerciaux intra-européens…qui ont eu les développements dramatiques que l’on sait.

Panorama des inégalités de patrimoine dans la zone euro

Tandis que la perspective d’un « choc de transparence » sur les patrimoines fait grimacer notre personnel politique, la Banque Centrale Européenne publie une étude  qui rappelle l’extrême concentration des patrimoines à l’intérieur de la zone Euro.

Ce travail résulte d’une enquête menée sur un échantillon de 62 000 ménages, dont le patrimoine est exprimé en valeur nette, soit après déduction de l’endettement.

Le graphique ci-dessous signale un écart très significatif entre le patrimoine médian (109 200 euros) et le patrimoine moyen (230 800 euros), que seuls 20% des ménages sont en mesure de dépasser.

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Comparativement à celui des revenus, « l’escalier » des patrimoines  conduit bien plus haut…mais les marches sont de plus en plus rudes, ce qui témoigne du caractère exponentiel des inégalités de richesse.

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Les courbes de Lorenz confirment la sur-concentration des patrimoines, relativement à celle des revenus et des dépenses de consommation.

En effet,  les 20% des ménages les plus aisés possèdent 67% du patrimoine net, perçoivent 47% des revenus, mais n’effectuent que 38% des dépenses de consommation.

L’argent fait des petits, mais tout un chacun n’a qu’un seul estomac.

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Entrons un peu plus dans les détails, avec les deux tableaux suivants, qui chiffrent les inégalités de patrimoine selon les caractéristiques de ménages ainsi que les pays.

On observe tout d’abord que le patrimoine net médian des ménages dépourvus de propriété immobilière (« renters ») est 26 fois plus faible que celui des ménages propriétaires exempts de prêts hypothécaires (9 100 euros vs 241 200 euros). Pour information, le patrimoine médian des locataires français s’élève à 7 000 euros, contre 238 000 euros pour les propriétaires de leur logement.

De plus, sans surprise, le revenu exerce une influence très significative sur le niveau de patrimoine.

Enfin, il existe des inégalités « fractales », telles  que les écarts de patrimoine parmi les 20% les plus aisés creusent de façon spectaculaire l’écart entre le patrimoine médian (506 200 euros) et moyen (780 700 euros) de cette catégorie privilégiée de la population.

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Qui sont les européens les plus riches?

L’étude livre une donnée qui a ému  le journal allemand De Standarrd: les Allemands seraient les plus pauvres d’Europe.

En effet, hormis les Luxembourgeois, les Maltais et les Chypriotes, ce sont les Belges, les Espagnols et les Autrichiens qui ouvrent le bal.

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En termes de richesse moyenne, les Allemands  (195 200 euros) se retrouvent à la neuvième position, juste derrière les Français (233 400 euros). En revanche,  le patrimoine médian des Allemands atteint péniblement 51 400 euros… soit la moitié de la richesse médiane en Grèce ou en France.

Les clés de cette énigme résideraient dans le faible taux d’accès des Allemands à la propriété (44% des ménages contre 60% ailleurs en Europe et 72% en Grèce), une préférence pour les placements liquides et peu rémunérateurs, le vieillissement démographique (diminution de la taille des ménages), ainsi que le haut niveau de logements sociaux et la politique fiscale.

Une propagande populiste et chauvine tend à utiliser ces données pour renforcer le ressentiment des Allemands vis-à-vis des pays du sud de l’Europe. Or, comme on le voit, ce sont les inégalités internes à l’Allemagne, et certaines caractéristiques comportementales, qui expliquent la pauvreté relative des ménages allemands en capital.

Le graphique du jour

Au détour d’une étude sur les travailleurs transfrontaliers (UTC 2012), on découvre le graphique ci-dessus, qui donne à voir la baisse tendancielle de la part des salaires dans la valeur ajoutée des « pays avancés ».

Le cas allemand est intéressant.

Il apparaît que la chute des salaires par rapport à la richesse nationale, entre 2002 et 2007, a permis à l’économie allemande de renouer avec la situation qui prévalait avant la réunification, lorsque la part des salaires était inférieure à la moyenne des pays industrialisés.

La France n’est pas représentée dans le graphique, mais on devine que le retour de balancier allemand, auquel s’ajoute l’entrée fracassante de la Chine parmi le club des grandes puissances commerciales, n’a pas été neutre pour notre « compétitivité ».

Anatomie de la rentabilité et de l’épargne des entreprises européennes

Juste avant la crise, les entreprises françaises se distinguaient par un taux de rentabilité inférieur de 10 points à celui de leurs homologues européennes.

Plus précisément, en 2007, le taux de marge (excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée brute) était de 31,2% en France, contre 40% dans la zone euro et 41,4% en Allemagne (Eurostat).

Bien que mauvaise élève du profit, la France réalisait plus de marges que les Etats-Unis (29,3%), pays béni des heures supplémentaires et des salariés flexibles.

Sur la période 2000-2007, la rentabilité  française se distingue également par son inertie.

Pendant que les profits s’envolent en Pologne, en Allemagne ou aux Etats-Unis, pays dans lequel on se remet de l’explosion de la bulle internet; pendant qu’ ils s’effondrent au Danemark, en Italie ou au Portugal,  rien ne trouble le taux de marge français, comme le montre le graphique ci-dessus.

A présent, dépassons le taux de marge.

Certes, il s’agit d’une variable économique  importante, mais dans la mesure où l’excédent brut d’exploitation rémunère les actionnaires et les créanciers, c’est le  reliquat, à savoir le taux d’épargne des entreprises, qui permet d’évaluer leur capacité à affronter l’avenir.

Comparé au taux d’épargne de la zone euro (17,1 %), celui des entreprises françaises (12,7 %) accusait un déficit de 4,4 points.

Le tableau ci-dessus permet de repérer toutes les étapes du partage de la valeur ajoutée. Une fois la masse salariale retirée (3 premières colonnes), le profit est amputé d’impôts, de charges financières et des dividendes. Il termine sa course en épargne, avec laquelle les entreprises autofinancent, en totalité ou partiellement, leurs investissements.

Comparons la France à l’Allemagne.

En 2007, le taux d’épargne des sociétés non financières allemandes s’élevait à 17,8%, soit 5,1 points de plus qu’en France.

On pourrait croire que ce bonus trouve son origine dans la faible place qu’occupe la masse salariale dans la valeur ajoutée allemande:  57,4% contre 65,1 % en France.

Ce n’est pas tout à fait exact.

En effet, pour moitié, ce surplus d’épargne provient d’une fiscalité plus avantageuse (+ 2,5 points). A cela s’ajoute le  supplément de revenus tirés des investissements à l’étranger (+1 point). En sus, les entreprises allemandes ne déboursent que 1,3% de leur valeur ajoutée sous forme d’intérêts nets, contre 3,1% en France, ce qui, relativement,  leur procure 1,8 points d’épargne supplémentaire.

Une question se pose: comment se fait-il qu’avec un taux de marge supérieur de 10 points au taux français, les entreprises allemandes n’engrangent que 5 points d’épargne supplémentaire?

L’explication réside dans la générosité des entreprises allemandes vis-à-vis de leurs actionnaires.

En 2007, l’ Allemagne a versé plus de dividendes (21,2% de la valeur ajoutée)…qu’elle n’a investi (18,7%).

Moins fortunées, mais aussi beaucoup plus sages, les entreprises françaises n’ont distribué que 8% de leur valeur ajoutée, soit 40% de leurs investissements.

A la lecture de ces données, on comprend mieux l’empressement de certains à importer un modèle allemand qui fait figure d’exception en Europe.

France Allemagne: le match des avantages comparatifs

Le Centre d’Etudes Prospectives et d’Etudes Internationales (CEPII) estime régulièrement le profil des avantages comparatifs des principales puissances commerciales.

L’avantage comparatif, c’est un peu comme une note qui accroît la moyenne d’un bulletin scolaire, ou ne la diminue pas. Il peut s’agir d’une note mirobolante dans une matière principale ou d’une note plus mauvaise, mais  dans une matière marginale.

L’indicateur ci-dessous compare, « en millièmes du PIB, le solde commercial effectif d‟un pays pour un produit donné à un solde théorique correspondant à une absence de spécialisation » (Panorama de la spécialisation européenne, janvier 2012).

Un signe positif indique l’existence d’un point d’excellence ou de moindre handicap productif. Par exemple, on observe un avantage comparatif dans la filière i si son poids dans l’excédent commercial total dépasse son poids dans le commerce total du pays.

Contrairement à une légende urbaine, les difficultés du commerce extérieur français ne sont pas générales puisque les avantages sont stables ou progressent dans 7 filières (mécanique, services, chimie, sidérurgie, métaux non ferreux,  textiles, bois et papiers).

La France perd du terrain principalement dans l’énergie, les véhicules et l’électronique.

A noter que contrairement à  l’Allemagne, la France préfère multiplier les « petits » avantages comparatifs plutôt que de compter sur un petit nombre de filières très performantes (véhicules et  mécanique en Allemagne compensent la facture énergétique)

Il est intéressant de constater que la France et l’Allemagne  subissent deux contraintes similaires:

  • Le désavantage énergétique se creuse de manière spectaculaire;
  • Entre 1995 et 2008,   l’avantage comparatif dans les véhicules commence par progresser, avant de revenir à son niveau initial.

A l’évidence, l’Allemagne affronte ces difficultés dans de meilleures conditions que la France:

  • D’une part, elle réussit à compenser la dégradation de sa facture énergétique par une nette amélioration dans les services.
  • D’autre part, en 2009, l’Allemagne conserve une forte position dans les véhicules, alors que la France perd l’avantage dont elle disposait.

Démythifier l’excédent commercial de l’Allemagne

Il faut  relativiser la success story du commerce extérieur allemand au sein de la zone euro.

Observons comment, entre le milieu des années 90 et 2010, la part des importations allemandes dans les échanges intra-zone euro a chuté de 4 points, alors que celle des exportations variait peu.

The Economist (via Marginal Revolution) y voit l’effet de la compression de la demande intérieure en Allemagne, produite par les réformes du marché du travail et de la montée du chômage, en début de période. On peut compléter cette interprétation en supposant que la croissance débridée des importations qui a existé ailleurs en Europe n’a pas bénéficié  aux seules exportations allemandes.

Depuis 2007, il semble que les importations allemandes reprennent du poil de la bête.

Le rééquilibrage du modèle de croissance allemand est en cours et nous entrons dans une période où les salaires redémarrent et les ménages allemands diminuent leur taux d’épargne.

 De son côté, le New York Times constate que l’excédent de l’Allemagne est en train de fondre, alors que les exportations  se réorientent vers l’extérieur de l’union européenne.

A présent, du fait de la crise qui se prolonge en Europe et de la dépréciation de l’euro, l’Allemagne réalise autant de surplus en dehors de l’UE  qu’au sein de l’Eurozone.

Les exportations françaises subissent-elles un déclin spécifique?

En 2011, les exportations françaises de marchandises représentaient 3,271% des exportations mondiales (CNUCED) .

Quand on veut dépeindre les choses en noir (c’est à la mode), on se dit que c’est la plus mauvaise performance depuis 1948 .

 

Toutefois, en élargissant la focale à l’ensemble de l’Union Européenne, on se rend compte que le déclin relatif des exportations françaises n’est pas isolé.

En effet, avec 33,13% des exportations mondiales en 2011, l’UE pèse désormais autant… qu’au début des années cinquante.

Quant à l’Allemagne, depuis 20 ans, ses exportations s’essouflent relativement à celles du reste du monde.

Le déclin est moins sensible que pour l’Hexagone, mais il est réel.

Règle d’or ou règle de plomb?

L’accord européen, qui impose aux Etats de se doter d’une règle d’or est-il une bonne nouvelle pour la croissance?

Hors charges d’intérêt, le déficit budgétaire structurel ne devra pas excéder 0,5% du PIB. Comme le déficit global est limité à 3% du PIB, il ne reste 2,5% pour caser les charges d’intérêts et les éventuels déficits conjoncturels.

Il est intéressant de noter que l’accord est très peu contraignant pour l’Allemagne puisqu’elle  bénéficiait en 2010 d’un excédent structurel primaire d’environ 0,2% du PIB (solde structurel- intérêts de la dette), contre un déficit de 2,6% en France.

Du point de vue libéral, le strict encadrement des comptes publics est cohérent avec  la priorité donnée aux politiques de l’offre.

Que l’Allemagne, pays vieillissant, ait moins intérêt que d’autres à investir dans les infrastructures collectives se comprend aisément. Mais qu’avons nous à gagner à lui emboîter le pas?

Si l’on applique la règle d’or de Paul Leroy Beaulieu (un déficit ne doit pas dépasser le montant de l’investissement public), la France ne devrait pas ramener son déficit structurel au dessous de 2%.

Une lecture précise de l’accord dévoile qu’un pays peut déroger à la règle d’or dans la mesure où il procède aux « réformes » qui sont supposées doper la croissance potentielle:

structural reforms will be taken into account when defining the adjustment path to the medium-term objective [0.5% of GDP in structural budget deficit] for countries that have not yet reached this objective and in allowing a temporary deviation from this objective for countries that have already reached it. Only major reforms that have direct long-term positive budgetary effects, including by raising potential growth, and therefore a verifiable positive impact on the long-term sustainability of public finances will be taken into account. For instance, major health, pension and labour market reforms may be considered.

Ainsi donc, la règle d’or n’enterre pas seulement les politiques de relance.

Elle condamne tout  pays qui ne peut la respecter  à s’imposer une libéralisation accrue du marché du travail et des biens et services.

DG

Pourquoi l’Allemagne est-elle devenue protectionniste en 1879?

Intéressant papier que celui d’Azaf Hussman.

Il nous plonge dans la seconde moitié des années 1870, qui vit l’Allemagne opter pour un retour au protectionnisme douanier.

Les tarifs « fer et blé » adoptés par Bismarck en 1879 sont-ils dus au choc concurrentiel que provoquèrent les importations en provenance des Etats-Unis et de Russie?

S’agit-il d’une réaction à la mondialisation?

L’auteur remet en cause cette thèse.

Selon lui, l’origine du revirement commercial allemand est à la fois macro-économique et institutionnelle.

  • Après 3 années d’expansion économique provoquées par l’afflux massifs de capitaux français sous forme d’indemnités de guerre (8% du PIB allemand chaque année) l’Allemagne entre en récession dès 1875. Alors qu’ils avaient fortement augmenté, les prix agricoles et industriels chutent, ce qui pousse les secteurs concernés à demander un soutien auprès de l’Etat.
  • La Constitution allemande prive l’Etat fédéral d’une bonne partie des recettes fiscales, puisque seuls les états régionaux collectent les impôts directs. En cas de difficultés financières, l’Etat dépend du bon vouloir des exécutifs locaux. Alors que la crise vide les caisses, Bismarck trouve dans un protectionnisme douanier relativement modéré (les tarifs excèdent rarement les 7%) une source de revenus alternative à discrétion des pouvoirs publics.

Après quelques recherches, il apparaît que le propos d’Azaf Hussman confirme les observations de Marx en 1880:

Puis ce fut la guerre de 1870, la paix de 1871 et les milliards(…)

Ce qui s’était passé à Paris en 1867, et plus encore à Londres et New York, ne manqua pas de se produire aussi à Berlin : la spéculation démesurée finit par un krach général. Les sociétés par centaines firent banqueroute; les actions des sociétés qui se maintinrent, devinrent invendables; ce fut partout l’effondrement complet. Mais pour pouvoir spéculer, il avait fallu créer des moyens de production et de communication, des fabriques, des chemins de fer, etc., dont les actions étaient devenues l’objet de la spéculation. Lorsque surgit la catastrophe, il s’avéra cependant que le besoin public qui avait été pris comme prétexte, avait été dépassé de loin, qu’au cours de quatre ans on avait édifié plus de chemins de fer, de fabriques, de mines, etc., qu’au cours d’une évolution normale d’un quart de siècle.

En dehors des chemins de fer, dont nous parlerons encore plus tard, la spéculation s’était surtout précipitée sur l’industrie sidérurgique. De grandes fabriques avaient surgi du sol comme des champignons, et l’on avait même fondé certaines usines qui éclipsaient le Creusot. Hélas il se révéla le jour de la crise qu’il n’y avait pas d’utilisateurs pour cette production gigantesque. D’énormes sociétés industrielles se trouvaient acculées à la faillite. En tant que bons patriotes allemands, les directeurs appelèrent au secours le gouvernement, afin qu’il érigeât un système douanier contre les importations qui les protégerait de la concurrence du fer anglais dans l’exploitation du marché intérieur. Cependant si l’on exigeait une protection douanière pour le fer, on ne pouvait pas la refuser à d’autres industries, voire à l’agriculture. Ainsi donc dans toute l’Allemagne on organisa une agitation bruyante pour la protection douanière, une agitation qui permit à Monsieur Bismarck d’instaurer un tarif douanier qui devait remplir ce but. Ce tarif, élevé en loi dans l’été 1879, est maintenant en vigueur.

Bien que modérés, les tarifs de 1879 marquent le coup d’envoi d’une vague de restrictions aux échanges qui va gagner peu à peu toute l’Europe.

Le retournement conjoncturel de 1873 offrit à Bismarck l’occasion pour appliquer ses recettes protectionnistes, dont nous évoquerons les conséquences dans un prochain billet.

DG

L’Allemagne ou la croissance par l’importation

L’économie allemande a réussi à mettre à profit la force des pays émergents.

En effet, sans l’importation, le modèle exportateur allemand ne fonctionnerait pas.

Aujourd’hui,  les investissements (hors construction) et les exportations ont un contenu en importations de plus de 40%  (FMI).

Le plus souvent, il s’agit d’intrants réimportés par des filiales délocalisées à l’est de l’europe.

Ce commerce vertical permet aux firmes allemandes de maîtriser le coût de leurs équipements productifs et d’améliorer leurs marges à prix constant.

Il est intéressant de constater à quel point le modèle de croissance par l’importation est dual.

Les autres postes de dépenses (consommation publique et privée, construction) en sont très largement préservés.

Par exemple, seulement 20% de la consommation privée de biens et services sont importés.

Le dualisme de l’économie allemande pourrait très bien conforter la logique mondialisatrice.

En effet,  il n’est pas utile de mettre les salariés au pain et à l’eau pour freiner les importations et obtenir à tout prix un excédent commercial lorsque ces derniers consomment local à 80%.

Cela ne signifie pas que les salaires allemands explosent, bien au contraire. Mais il n’est pas nécessaire de les baisser brutalement.

De plus, les hauts salaires allemands, relativement au reste du monde, sont justifiés par les économies que l’on réalise en important du capital productif.

Ce modèle est subtil, mais est-il durable?

Tant que les pays émergents ne concurrencent pas l’Allemagne sur ses biens d’équipements et que les salariés tolèrent l’insécurité inévitable d’un modèle voué à l’exportation, tout va bien.

Combien de temps cela durera-t-il?

DG

Todd a dit: la démographie sépare définitivement l’Allemagne de la France

J’écoutais ce matin  l’interview radio d’Emmanuel Todd  par Frédéric Bonnaud (04/08/11).

A chaque fois que Todd prend la parole, c’est pour délivrer une idée nouvelle, percutante et, le plus souvent, progressiste. C’est bien pour cela que je l’écoute.

Il était question des relations franco-allemandes, dont Todd a décidé qu’elles étaient condamnées à s’effilocher.

Démographe jusqu’au bout des ongles, Todd prend appui sur le marasme des naissances en Allemagne pour nous convaincre de nous tourner vers des pays au profil démographique plus proche du notre.

Et de citer le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, ce qui ne manque pas de sel dans le contexte de frilosité identitaire que l’on sait.

Pour autant, le déclin de la population allemande est-il inscrit dans le marbre?

N’existe-t-il pas un potentiel de redressement?

La perspective déterministe arrange tellement notre Todd national qu’elle mérite examen.

En consultant les statistiques, on observe que l’évolution de l’Allemagne découle d’une faible natalité mais aussi d’une mortalité étrangement élevée.

Les taux de natalité  (nombre de naissances pour 1000 habitants) et de mortalité y sont respectivement inférieur de 2,4 points et supérieur de 0,8 points à la moyenne de l’UE des 27.

Pendant les 40 dernières années, il aurait suffi que l’Allemagne affiche un taux de mortalité identique à celui de la France pour que sa population (hors solde migratoire) reste stable, voire continue de progresser.

Le graphique ci-dessus permet de le vérifier.

Est-ce un dégât collatéral de la part qu’occupe l’industrie dans la production?

Existe-t-il d’autres causes, sur lesquelles les pouvoirs publics peuvent agir?

Notons qu’ avant la réunification, la natalité avait repris des couleurs.

J’attends que Todd nous éclaire sur les origines de la surmortalité allemande et qu’il nous donne quelques pistes d’action, plutôt que d’enterrer, avec un peu de désinvolture,  le partenariat franco-allemand.

DG

L’Allemagne transmet la croissance asiatique à ses partenaires européens

Le New York Times constate que la Chancelière Angela Merkel s’entoure d’un nombre croissant d’industriels, lors de ses déplacements en Asie.

Certains redoutent que l’Allemagne se détourne du marché européen au profit de la Chine ou de l’Indonésie.

En réalité, qu’il le veuille ou non, ce pays est le canal privilégié pour la transmission des chocs de demande en Asie sur ses partenaires européens.

Le reste de l’Europe profite indirectement des opportunités de l’Allemagne puisqu’elle reste  la première ou la seconde destination des produits français, italiens ou espagnols.

Guy Lalanne et Léa Mauro (article ici) nous montrent ce qu’une impulsion de 10% de la demande intérieure asiatique (hors Japon) donnerait sur l’économie française.

Le supplément d’exportations qui en résulte chez nous se décompose ainsi:

+0,19 points, via les liens commerciaux directs entre la France et l’Asie,

+0,53 points, via la croissance supplémentaire de nos partenaires européens et américains qui bénéficient également du boom asiatique.

L’impulsion initiale se propage tant est si bien que le gain total de la  France (0,72 points) avoisine celui de l’Allemagne (0,95 points).

A défaut de solidarité consciente, la main invisible des liens commerciaux distribue une part des gains que l’Allemagne engrange sur les marchés émergents.

 

DG

L’anomalie des exportations allemandes

Les performances commerciales de l’Allemagne sont une vieille histoire.

Depuis 40 ans, ce pays manifeste une forte ouverture internationale fondée sur de solides avantages comparatifs industriels.

On le vérifie aisément dans le graphique ci-dessus: entre 1970 et 2008, l’Allemagne se situe systématiquement au dessus de la bissectrice, ce qui signifie que sa part dans les exportations européennes est supérieure à son PIB relatif. A contrario, la France et l’Italie sont tournées  vers leur marché intérieur.

Cependant, depuis cinq ans, le secteur exportateur allemand connait une hypertrophie  en totale contradiction avec l’évolution du PIB relatif de ce pays.

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Exporter à partir de pays à hauts salaires: le cas allemand

Voici deux intéressants éclairages sur le dynamisme commercial allemand.

Les économistes de Natixis (avril 2010) nous invitent à ne pas prendre l’Allemagne pour un pays à bas salaires.

Ils mettent en avant le rôle des infrastructures portuaires et montrent que depuis 2000, les deux tiers des parts de marchés conquises à l’intérieur du marché européen reflètent une hausse du commerce de réexportation.

Ce succès est à mettre au crédit des ports de Hambourg et de Bremerhaven, vers lesquels affluent de plus en plus de biens européens en transit.

Un camouflet pour la stratégie allemande de compression salariale, concluent les auteurs.

Hans Brodersen (2008) apporte un bémol.

Certes,  l’Allemagne est un pays à hauts salaires, obligé de se spécialiser dans les activités riches en capital et qui résistent le mieux à la concurrence extérieure.

Cependant, il note que cette stratégie est cohérente avec les délocalisations et la modération salariale, qui donnent aux entreprises allemandes le moyen de compenser l’appréciation de l’euro.

DG

3,8%

Le bulletin de la Bundeskank (mars 2011) nous apprend que  3,8% du PIB français sont  exportés vers l’Allemagne.

Ce taux n’est pas considérable, par rapport au reste de l’Europe (5,5%), mais en réalité,  les pays dont le commerce dépend plus fortement de l’Allemagne sont ses voisins de petite taille (Suisse, Autriche) ou des pays de l’est européen, dans lesquels l’industrie allemande s’est délocalisée (Pologne, Tchéquie).

L’intensité du commerce franco-allemand repose sur la proximité géographique mais aussi la nature des échanges.

En effet, 36% des exportations françaises sont constituées de biens durables et de composants automobiles. Contrairement à une idée reçue, le tourisme est marginal dans nos échanges (5% des exportations), à la différence de l’Espagne, de la Grèce ou de la Turquie.

Notons que l’économie allemande se fournit intensément en biens intermédiaires et en énergie auprès de tous ses partenaires (un tiers de leurs ventes), ce qui témoigne du niveau d’intégration élevé qu’ont atteint les économies européennes.

DG

Le commerce extérieur de la France s’effondre-t-il?


Déficits courants en % du PIB

Sur le site Telos, Elie Cohen reprend à son compte la thématique de l’effondrement du commerce extérieur français.

Comment se fait-il que les statistiques n’aient  pas enregistré un tel choc?

D’après l’OCDE, la mise en oeuvre de l’euro s’est accompagnée d’une dispersion croissante des balances extérieures, mais force est de constater que notre pays n’y a point contribué.

On constate en effet que la France a navigué entre deux extrêmes: d’une part, les pays de l’Europe du Sud, dont les déficits allaient se creusant et, d’autre part, l’Allemagne ou les Pays-Bas, aux excédents massifs et croissants.

Certes, le solde extérieur français est  revenu au point bas de 1982 et il est légitime d’en explorer les causes. Toutefois, deux remarques s’imposent:

  • La balance extérieure française est plus élastique à la hausse qu’à la baisse. Pour s’en convaincre, observons la zone grisée du graphique ci-dessus. Elle figure une sorte de serpent à l’intérieur duquel évoluent les soldes extérieurs non extrêmes des pays de la zone euro. On constate qu’il arrive à notre pays d’en épouser la borne supérieure mais il est très rare qu’il atteigne la borne inférieure.
  • La véritable anomalie ne réside-t-elle pas dans l’excédent allemand qui a permis le financement d’ un échafaudage de dettes à risque en Espagne et en Grèce?

DG


Le match France-Allemagne est terminé

Le gouvernement français est obsédé par le modèle économique allemand.

Qu’il s’agisse du domaine fiscal, éducatif ou compétitif, chaque comparaison vis-à-vis de nos voisins serait matière  à désolation.

Histoire de rétablir les faits,  plusieurs  blogs  d’économie relativisent ou contestent les contre-performances supposées de la France (voir O. Bouba Olga ou encore  Sans Rationalité).

Ce lamento officiel en dit beaucoup sur la nostalgie qui s’empare des autorités françaises.

En effet, dans les années soixante la France avait quelques  raisons de souhaiter rattraper l’Allemagne.

En 1960, un français disposait d’un revenu 2,67 fois supérieur à la moyenne mondiale, contre 3,55 outre-Rhin, soit 30% de plus.

Notre pays releva le « défi » allemand et remporta la timbale en 1990: à cette date, un français était aussi riche qu’ un allemand de 1960.

Depuis,  le soufflet est retombé. D’ailleurs, à  partir de 1990 la  richesse relative de la France plafonne, avant de décliner dix ans plus tard. Heureuse Chine, qui multiplie les rivaux (après l’ Inde, la Corée du Sud puis Taïwan) comme autant de défis à relever.

En  considérant les écarts de PIB  non pas à une date donnée mais en dynamique, on réalise que le match franco-allemand est fini depuis longtemps et que les efforts du gouvernement tiennent de la réanimation artificielle.

 

DG

Le modèle allemand est-il bon pour l’Europe?

Avec ses bons chiffres de croissance et son imposant excédent commercial, l’Allemagne fait figure de référence économique, voire même de modèle.

Sergio de Nardis écarte d’un revers de la main ce mirage dans un billet sans concession.

Le surplus extérieur allemand (7% du PIB) n’est, à ses yeux, qu’une anomalie à haut risque pour l’économie européenne.

Acquis à 85% au détriment des pays de l’UE, il  pousse ces derniers vers la déflation des salaires et des prix car nos voisins d’outre-Rhin parviennent à maintenir leur pression concurrentielle en bloquant l’ajustement de leurs salaires à la hausse.

Voici le mécanisme: entre 2002 et 2007, la productivité industrielle allemande progresse trois fois plus vite qu’ailleurs en Europe, d’où le boom des exportations et, avec le temps, une pression à la hausse sur les salaires industriels qui aurait du se diffuser au secteur tertiaire, donner un coup de pouce à l’inflation et rééquilibrer la balance extérieure.

Or, les réformes libérales mises en oeuvre en Allemagne depuis dix ans (flexibilisation du marché du travail,  » TVA sociale », diminution des aides sociales) ont empêché la diffusion des gains de productivité à l’ensemble de la population. En conséquence, l’excédent commercial ne cesse de progresser, au risque de destabiliser les partenaires commerciaux.

Que faire?

De Nardis critique les pays qui emboîtent le pas du mercantilisme allemand. La course à la déflation salariale compétitive n’aurait pas d’autre effet que de fragiliser la reprise économique.

L’économiste propose un changement de stratégie à 180 degrés.

Il suggère de rediriger les efforts vers le secteur tertiaire, domaine d’activité à la fois prédominant dans l’emploi et la demande, moins dépendant de l’exportation et où il existe des gisements de productivité inexploités.

Moins de colbertisme et plus d’attention envers les services publics ou à la distribution, voici un excellent moyen de relancer durablement le pouvoir d’achat et l’activité sans nuire aux économies voisines.

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