Dans cet extrait de l’émission Arrêt sur Images, Frédéric Lordon défend le concept de démondialisation.
Au cours de la discussion, il déclare :le monde n’est pas mondialisé.
C’est une idée que les économistes défendent depuis longtemps.
De là à en tirer la conclusion que le protectionnisme ce n’est pas l’enfer en prenant prétexte qu’il existe des entités souveraines closes qui ne se font pas la guerre, Lordon s’avance un peu.
Son raisonnement se heurte à quelques objections logiques et de fait.
Tout d’abord, on ne voit pas comment résoudre les grands problèmes contemporains avec des droits de douane, si la mondialisation n’est qu’un phénomène imaginaire. Comment se fait-il que le protectionnisme réel ne soit pas le paradis sur terre?
De plus, hérisser de nouvelles barrières ne serait pas anodin car s’il existe en effet de par le monde une multitude de protections « spontanées » (barrières informelles, culturelles, géographiques) ou internes (investissements en recherche, formation, éducation), il n’est pas du tout certain que les pays développés en soient les plus dépourvus.
Prétendre que le protectionnisme est le cours réel de l’histoire, c’est oublier qu’il existe une « mondialisation spontanée », qui se nourrit de la diminution des coûts de transport, de la convergence des PIB ou des progrès de l’urbanisation. Faut-il aussi s’opposer à ces logiques?
Mr Lordon se contente d’opposer deux concepts un peu fumeux, le libre-échange absolu et la relocalisation de la production.
Mais la réalité est plus complexe, de sorte que les discussions sérieuses devraient porter sur l’opportunité d’un peu plus ou d’un peu moins d’ouverture aux échanges, et cela pour chaque secteur d’activité et dans chaque pays particulier.
Il me semble également que proclamer le caractère idéologique de la mondialisation ne suffit pas.
On attend de Mr Lordon qu’il nous révèle la nature et la stratégie des intérêts qui se servent de la mondialisation.
Selon Immanuel Wallerstein, la mondialisation est un discours qui permet de disqualifier toute forme de pensée critique, au nom de la sacro-sainte contrainte extérieure.
Rien de mieux pour désespérer Billancourt.
Paradoxalement, les démondialisateurs donnent du crédit à cette thèse puisqu’il n’est point de salut en dehors du home sweet home, disent-ils.
Etre radical ne consiste-t-il pas à continuer à proposer des pistes nouvelles en matière d’emploi, de protection sociale, d’écologie, y compris en économie ouverte?
Enfin, le terme même est déplaisant. Il évoque le repli, voire la confrontation, ce qui n’est pas de bonne augure.
Espérons que la démondialisation ne devienne pas la coquille vide de la pensée critique.
DG
Pour aller plus loin: Les impasses de la démondialisation (Pierre Khalfa).
D’avoir beaucoup écouté et un peu lu Frédéric Lordon, je peux affirmer que derrière quelques propos pertinents, sur un thème précis d’émission (la démondialisation), avec en plus, le début d’un débat posé par ATTAC (donc un angle de vue privilégié), la pensée de l’économiste ne manque ni de complexité, d’ampleur, ni de ressources.
D’autres oeuvrent avec lui à l’analyse et à la construction d’un monde alternatif, dans l’écoute et la confrontation entre confrères chercheurs, et sans exclure les citoyens que nous sommes.
Bernard Friot, Etienne Chouard me viennent à l’esprit, si ce foyer d’idées et de réflexion est – à mes yeux, pourtant modestes, de pauvre et reléguée de notre société – à étendre et enrichir encore, notamment dans le sens à donner à la valeur argent – toujours relative (et à la « Croissance », ou au « Développement », quitte à abandonner ces derniers), dans une visée humaine, et écologique (terre et vivant).
Tout cela est passionnant et porteur.
Oui,je suis d’accord avec vous. C’est un critique pertinent, très riche et cultivé, du régime d’accumulation financiarisé. Friot m’est connu, en particulier son analyse de la protection sociale. Sachant tout cela, je suis d’autant plus peiné de voir Lordon s’enferrer dans la thématique de la démondialisation.